Timothée Bordenave: «Poésies pour Paris»

Επιμέλεια: Εύα Πετροπούλου Λιανού

L’amoureux de Paris

Une femme à Paris
M’a dit oui pour la vie,
Cette femme est la ville
Elle même…
°
Elle m’aime, elle m’aime !
Paris, Paris la belle,
La princesse bohème
Aux mille tourterelles
M’a choisi
*
Et je chante, je chante,
Les baisers de l’amante
­Son coeur de poésie
Faîte pierre !
La ville, cité fière,
Citadelle insoumise
Et je vis en ma femme…
°
Qui me nourrit,
M’affame,
Me calme
Me parle
Et me souris

Puis m’avale
En son gris
Macadam !

Oeil de Poisson. “Drôlerie”

Soleil, soleil et lune, et soleil à nouveau,
Lune encore et puis là : pâle lune sur l’eau
Qui rappellent aux terres qu’en haut il fait beau,
Et aux terriens que Dieu leur donna du cerveau.

Quelque pluie quelque vent quelque pluie, pluie et vent… Vent encore, « je me retournerai souvent »
Dit la terre aux doux gaz – perpétuel mouvement.
Et nuages, nuages… L’oiseau qui s’en vient…        Traverser,
Oiseau que l’homme avoue qu’il advient…
Tous dans l’œil du poisson éclaireront sa peau.

Nuit Blanche

Dans l’humeur un peu bleue d’une nuit de Septembre
Me voici seul encore et mon ami vertige
Silencieux m’enduit d’un sommeil qui se fige
En drogues voletant aux bougies de ma chambre

Avec aux doigts trois mots et deux fumées en bouche
Aux oreilles la vieille rengaine d’amour
Voilà que patiemment j’attends le nouveau jour Encore un peu sonné aux dernières cartouches

Et demain qui viendra résonner de soleil
Au travers des rideaux dans le parfum d’encens M’appellera encore à battre un peu de sang
Aux écluses du temps le corps est appareil

Rêve d’une mémoire est le songe dansant
Comme à l’ancien château son faune sous la treille

«Jedi night»

Ennui de taire un signe
Et ces trois dents qui grincent
Le caban et les pinces
La stupidité digne

Envie de prendre corps
Et de fureurs insignes
Et de feuilles de vigne
Accrochées au décor

Je ne sais vers quel sort
M’a conduit cette ligne
On me jette des pignes
On me dit que j’ai tort

J’aime tant la forêt
J’aime tant quand ça grince
J’aime tant le Ferret

Je voudrais être mince
Candide et plein d’apprêts
Garnement de province !

Le Départ, Saint Michel, Paris
01 heure 46

Le vacarme le bruit
L’ennui la tourterelle
Demain à tire d’aile
Je reste avec la nuit

Café muscadet blanc
Un étourdi s’en mêle
Vacarme péronnelle
Et nos amours ballant

Le bruit l’amour l’ennui
Demain est insouciant
Demain déjà s’enfuit
En un reflet roulant

Aujourd’hui autre suie
Demain la ritournelle
Hier à chaque nuit
Est une ombre nouvelle.

La pluie

Sous un arbre, la pluie
Goutte au travers des branches,
Je repense aux nuits blanches
Que mon cœur éconduit
Cueillit, quelques dimanches.

Je veux trouver l’amour
Au lever du soleil,
Pour n’être pas pareil
A ces soldats du jour,
Qui n’ont qu’un seul éveil…

Petite histoire (Une valse)

Comme on a vu souvent des moutons blancs ou gris,
Des boucs noirs, des porcs roses, des canaris jaunes,
On pense à tort qu’un loup ne peut pas être vert.

Celui-­ci pourtant est doux, aimable et ouvert : Sympathique loup vert aux yeux mauves de faune, Que je croisai un soir, dans un bar de Paris.

« Quel style, quel éclat ! » Adressai je aussitôt
Au loup, « Comme on doit vous fêter dans la forêt, Cette originalité est si élégante ! »

« Non, monsieur, vous êtes bien le seul qu’elle enchante, Hélas, dit le loup, personne n’y voit d’attrait
Et je crains que les gens ne s’en moquent plutôt. »

Jeunesse

L’ennui: c’est que la mort ne vient pas par hasard
Nous faucher, ni l’amour nous étreindre et nous plaire…
Oui, mais : les fleurs du soir nous abreuvent d’un air Lourd, trouble et capiteux, plein de songes bizarres.

Le sommeil éternel, dans l’œil du débauché, Connaît ainsi le seuil qu’on franchit en dansant
Du rêve, et quêtant vers quelques nouveaux clochers
La sève s’étourdit de son toxique encens.

C’est la même rengaine, agrémentée toujours
Par l’ombre du désir et les reflets du sang,
Et l’on s’oublie dans l’espérance et nos cœurs sourds
Dévorent les peurs que Dieu sema en passant…

«Arthur’s Blues»

Il pleut doucement sur la ville,
Prends-­y garde, ô ma femme absente,
Dans les délices de l’exil
Tu n’écoutes pas l’eau qui chante.

Il pleut sur les rues de Paris,
Attention, mon cœur, reviens vite
Te cacher au fond de mon lit,
Tu serais trempé dans ta fuite.

Il neige à présent sur la ville,
Revenez donc de vos fredaines !
Et puis, zut ! Je suis bien tranquille…

Sans vous, où que le vent vous mène.

Ysengrin

Avachi, le loup dort et songe à son ami
Ce renard roux et brun qui lui coupa la queue,
Et dans son long rêve aqueux
Elle repousse à demi
Comme il prend un bain.

Mais c’est l’hiver et l’eau devient soudain glacée ;
Il sort à temps mais la queue reste prisonnière,
Et du bord de la rivière
Il jette un peu agacé
Un regard de dédain.

« A quoi cette queue me servirai-t­elle enfin, Puisqu’elle ne cesse de vouloir s’en aller ? » Songe le loup Ysengrin,
« Allons plutôt avaler
Quelque vin ou quelque pain. »

« Apres tout, dit-­il, ce n’est là qu’un ornement,
Qui m’a dans le passé bien souvent dérangé Cessons donc là nos tourments,

Pour courir et pour manger
J’ai toujours mes pieds et mes mains. »

Itinérances (Presque une valse)

Promenant ça et là mes étiques prières
Grimpantes sous le bois comme un lierre incertain J’ai trouvé à la mare un vieux cigare éteint…

« Freud est là ! Freud est là ! » Criai-­je heureux et fier
« Enfin à moi la joie de tout savoir serein »
« Elie vite : un monocle et ta carte de train ! »

Arrivé en Autriche mon cigare est sec
Je vagabonde un peu dans l’air Viennois du soir Puis l’allume et soudain tout cela m’est égal :

J’ai trouvé un loukoum posé sur le trottoir
Cadeau du Dieu Vivant Qui Seul Mène Au Régal C’est décidé demain je me barre à la Mecque…

«Allez, salut, à plus les mecs !»

La pluie et le beau temps…

Toujours viendra la pluie
A dit en Chine un sage
Parsemer les nuages
Dieu le sait seul et Lui

Jadis tant fit Cocagne
À Bangkok à Paris
Au Pérou en Espagne
Et puis tant en a ri

Jadis aujourd’hui vagues
Sont nos lieues si parmi
Tout espace l’Ami

Toute Mer La Montagne
Lui dit…
Le Soleil et La Nuit !

Notre Père de Paris

«Notre Père,
Qui êtes si vieux !
Soyez complètement sanctifié !

Que notre cité soit la fête,
Sur la Terre, un bleu ciel !

Donnez nous aujourd’hui notre croissant de ce jour,
Et dites nous pour la France :
Toujours, un peu comme avant et de mieux en mieux, merci.

Car c’est à vous qu’appartiennent,
Le Règne, la Puissance, et la Gloire,
Et elle est au Nord de la Loire,
Pour les siècles des siècles !

À Paris, Fontainebleau, Vincennes,
Saint Denis,
Et Versailles et la Seine…

Amen !»

Fluctuat nec mergitur!

La ville : une armada de bâtiments au port.
Les voitures : chalands. Les feux rouges : mouillages.
Les passants : matelots. Les fenêtres : sabords.
Les polices : sifflets. Et les murs : carénages…

Étourdi, aux cafés : les amers remarquables,
J’y vécus en marin : rêveur d’autre horizon…
Et buvais : bière ou grogs, parfois plus que raison,
Roulant vers mon hamac, sur les trottoirs de sable.

Et je tins un carnet, de chants et de voyage :
Évoquant les combats, l’or, les gouffres béants !
Inspiré du ciel par la houle des nuages,
L’encre à ma main coulait, comme aux poulpes géants…

Un beau matin, Paris larguera les amarres !
Oui, puis nous partirons croiser aux Amériques,
Pour l’heure il se fait tard, et des bancs de brouillard,
Donnent aux quais de Seine un air presque mystique…

*Poésies de jeunesse.
Timothée Bordenave.
En France, pour Paris !

« European Poetry » – MMXXV.VII.*

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